Pocceschi-Strada

mise en scène
opéra

Forum opéra, Tancrède Lahary

Quelle intrigante proposition, que cette nouvelle production de Werther offerte pour la réouverture in extremis de l’Opéra de Nice avant la fin de la saison. Sandra Pocceschi et Giacomo Strada, assistés par Héloïse Sérazin situent l’action dans un temps indéfini, postapocalyptique, où la nature est morte. La communauté réunie autour du Bailli vit dans un bunker sous une serre où les personnages cultivent tomates, vin et autres vivres. Les saisons y sont récréées par un astre artificiel niché au sommet de la serre, tantôt soleil, tantôt lune.
Passé la surprise du postulat de départ, cette mise en scène se révèle magistrale par la force de ses symboles et la beauté de certains de ses tableaux. Tout se structure autour de deux thèmes clés, la nature et les corps célestes – chacun rappelant la force destructrice d’un destin implacable. Puisqu’elle a disparu, la nature, ravagée en dehors de la serre, et précairement recrée par les personnages sous cloche, prend les atours d’une pulsion de mort : la fascination panthéiste de Werther pour celle-ci n’en est alors que plus mortifère. Ses apparitions ne tiennent d’ailleurs pas du végétal, comme à l’accoutumée, car c’est au contraire le motif minéral qui domine. Werther, comme Charlotte, s’agrippent, dans les moments les plus dramatiques, à un rocher, suggérant tout à la fois la rigueur d’une nature inhumaine, le régime sisyphéen de la dépression ou encore l’image des héros romantiques de Caspar David Friedrich postés sur les rochers devant une nature folle. A cet égard, référence au romantisme évidente, les symboles cosmiques font sans cesse retour et imprègnent toute la mise en scène, plaçant le couple de Werther et Charlotte sous le régime des amants maudits par les étoiles, qu’il s’agisse de la magnifique promenade nocturne des deux amants à l’acte I qui se perdent parmi les étoiles d’un tableau, de la lente course d’une comète traversant la scène durant l’intermezzo vers l’acte IV, ou encore de la mort tragique de Werther percuté non pas tant par une balle de pistolet que par…une météorite fumante – procurant un splendide et désespérant tableau final, sublimé par les lumières de Giacomo Gorini.
Au total cette production est un tour de force. Fascinante mise en scène, perfection du plateau vocal : tout trouve sa place, dans un parfait alignement des…planètes.


Première loge, Stéphane Lelièvre

On peut ne pas adhérer à la vision de Werther proposée par les metteurs en scène Sandra Pocceschi et Giacomo Strada. On ne peut, en revanche, nier la grande cohérence qui la sous-tend, ni l’intelligence avec laquelle elle a été pensée : le personnage éponyme, même transformé en jeune homme d’aujourd’hui, garde l’essentiel de ses caractéristiques romantiques, à commencer par un sentiment d’insatisfaction profonde qui l’empêche de se fixer et le met toujours en mouvement, en quête d’un idéal inaccessible. D’où cette figure de vagabond, de Wanderer que l’on découvre pendant le prologue, un vagabond que le microcosme rassurant offert par la petite ville de Wetzlar va retenir un instant, fallacieux havre de paix, image d’un bonheur à portée de main – générée surtout par l’image idéalisée de Charlotte. Ce microcosme se trouve réduit à une serre dans laquelle le bailli cultive, avec l’aide de Johann et de Schmidt, différents fruits et fleurs. Si l’image surprend dans un premier temps, elle s’avère en fait poétiquement et dramatiquement très efficace : elle permet, par l’omniprésence de l’élément  végétal, une référence constante à la nature, jusque dans ses métamorphoses au fil des saisons, des fruits mûrs de la saison estivale au dénuement extrême de l’hiver ; mais elle permet également une opposition forte entre le végétal, règne de la beauté éphémère et du perpétuel recommencement, et le minéral, règne de l’immuable, de la pesanteur, qui peut s’avérer mortifère mais permet aussi de pérenniser les choses, en gravant  un destin dans la pierre et en l’érigeant en mythe, tel celui de Werther, dont l’image se superpose à celle du Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar Friedrich dans un tableau final saisissant.

Cette lecture fine de l’œuvre se double, sur scène, d’une direction d’acteurs très pointue, et donne lieu également à quelques tableaux vraiment marquants : la silhouette de la défunte mère de Charlotte, qui grandit progressivement au point d’envahir tout l’espace ; ou encore la scène, poignante, du retour d’Albert au 3e acte : lorsque son mari pénètre dans la serre, Charlotte a déjà reçu le message de Werther demandant qu’on lui prête les pistolets de son ami. Anéantie, la jeune femme demeure immobile, complètement tétanisée, aveugle et sourde à tout ce qui passe autour d’elle, et notamment aux appels de son mari ; ou encore le superbe plan d’une météore se précipitant vers la Terre pendant l’interlude symphonique du 4e acte, double image de Charlotte accourant au chevet de Werther, et de la mort qui s’apprête à frapper le jeune homme.